A vous, à nos sidérations; avec Maude Veilleux.

[Actualité publiée le : 28 Nov, 2023]

 

A vous, à vos sidérations,

Je ne me réjouis pas d’être ici. Je n’ai rien à dire. Je suis en état de sidération. Le monde est en état de sidération. C’est pour cela que nous n’avons plus rien à dire. C’est ainsi que Barbara Cassin ouvre le forum Le Monde Le Mans portant sur la nostalgie. Elle poursuit : « Notre monde est difficilement habitable. Nous avons un monde en état de guerre, en état d’exil ; un monde à réparer ». Elle cite le poète René Char :  Des yeux purs dans les bois cherchent en pleurant tête habitable. Tout-à-coup, je suis soulagée.

Elle reprend ses papiers. Elle a ce dos courbé de la philosophe qui, penchée sur le berceau du monde, cherche à le comprendre. Sa tête enveloppée dans une chevelure d’or et d’argent se lève. Ses yeux purs sont embués. Elle nous regarde et précise : Je ne sais pas quoi dire mais je suis venue. Il est difficile de vivre avec le trouble écologiste, cette nostalgie d’un monde vivant et présent, d’un monde meilleur. J’ai la nostalgie d’un parti écologiste qui pourrait faire quelque chose. A nouveau, je suis soulagée.

Elle nous parle de réparation du monde. Elle nous parle des commissions de vérité et de réconciliation, qui devraient exister de par et à travers le monde ; par exemple, en Palestine. Elle évoque des milliers d’Ulysse qui meurent en Méditerranée parce que personne ne sait comment les accueillir. Le monde aura besoin de réparation, de réconciliation et de vérité. Elle cite à nouveau un poète, cette fois-ci Rimbaud : « La poésie ne rythmera plus l’action, elle sera en avant ». Elle nous enjoint à comprendre que la poésie est un acte politique. Soulagée et rassurée aussi, je suis ; je vais bien. 

Je suis atteinte de nostalgie. Hier, c’était mieux demain. Hier, on pouvait encore croire à demain. Je comprends donc d’où vient mon état de sidération. Moi aussi, je n’ai rien à dire. Je savais que dans une de mes correspondances de l’année 2024, j’avais à parler de la Palestine, de l’Ukraine et du retour du glyphosate. Mais, les serpents noirs de la colère qui s’entremêlent dans mon esprit me font me taire. Moi aussi, je suis en état de sidération. Je ne dis rien parce que je ne sais pas quoi faire devant la violence, le déni constant de nos gouvernants. Alors, je milite et je manifeste dans ma ville.

Le lendemain, nous sommes le 25 novembre, journée mondiale des violences faites aux femmes. En plein milieu de l’après-midi, je quitte le salon Grand Print #3 où je tiens mon premier stand de gravure, d’estampe et de micro-édition, pour me rendre Place de la République. Je retrouve les copines des manif’ féministes et solidaires. Nous défilons avec des pancartes où sont notés les prénoms des 124 femmes tuées sous les coups de leur conjoint. 124 féminicides. 124 pancartes que nous brandissons sur les escaliers du Palais de justice, place des Jacobins. 124 prénoms féminins cités un à un. 1 minute de silence pour toutes. Dans la foule des manifestantes et des manifestants, le recueillement profond et des pleurs. Nous reprenons le défilé avec des femmes palestiniennes. Devant les grilles de la préfecture, nous déposons chacune, les 124pancartes. Une longue file de pancartes. Féminicides à rallonge. Les Rosies font leur honorable et respectable chorégraphie. Et me voilà à parler de Barbara Cassin et de l’état de sidération, à ma voisine de manif’. Quand on est violentée, on est aussi dans cet état de sidération, cet état qui nous empêche d’agir, de partir. L’état de sidération est un état psychologique profond qui semble nous protéger alors qu’il nous rend encore plus vulnérable. L’état de sidération est un leurre. Le monde est dans cet état de sidération, le leurre de l’espoir. Le monde d’après Covid ne va pas vers le meilleur. Cela fait un bien fou d’aller manifester. Cela libère les tensions. Tout-à-coup, j’ai plein de trucs à dire. 

Remettre du glyphosate, c’est vraiment n’importe quoi ! Les guerres ont toujours existé ; pas le glyphosate. Mais le glyphosate tue aussi. Le glyphosate est un acte collectif de violence silencieuse. Je suis comme Barbarin Cassin. J’ai la nostalgie d’un parti écologiste qui pourrait faire des choses. J’ai la nostalgie de l’espoir d’un monde meilleur, d’un monde progressiste, d’un monde démocratique et humaniste. J’ai la nostalgie du futur. On est coincés!  Où est l’espoir ? Où est la gagne ? Faire sa part. J’ai toujours fait ma part et je continue à la faire. Elle devient limitée. Comment la déployer ? Comment lui donner plus d’impact ? On se promet de se revoir autour d’un café en ville. Vous allez mal ; allez manifester ! 

Ma part, c’est aussi d’écrire des poèmes au futur. C’est presque transgressif aujourd’hui d’écrire au futur. « Un jour nous serons » est un poème d’espoir, mon plus grand espoir du monde, une sorte de nostalgie ouverte. Celui de Maude Veilleux est en lien avec les violences et l’état de sidération. Maude Veilleux est une poétesse montréalaise, une figure poétique montante qui fait le pari de mettre en lumière une multitude de vies possibles. Mon recueil « Nous les gens de la terre » pourrait aussi se lire aussi de cette manière car comme le dit ma maison d’édition La Plume de Léonie « L’ouvrir, c’est accéder aux lieux qui nous habitent et aux gens qui deviennent poèmes » . Mon recueil est arrivé en librairies indépendantes au Mans, à la Flèche, à Alençon, à Mayenne. Il est parti aussi vivre par voie postale une vie dans le Cher, au Canada et au Maroc. Il va continuer à vivre en 2024, sous forme de performance poétique, le 15 décembre, à l’Ehpad Bollée-Chanzy, où je philosophe avec des pré-centenaires ; le 15 mars, à la médiathèque Simone Veil de Mayet, dans le cadre du Printemps des Poètes ; le 31 mai à la maison de la poésie d’Annecy invitée par Michel Dunand ; peut-être au festival de la poésie au Maroc. J’ai aussi le grand plaisir avec les poètes de la Plume de Léonie de participer au récital, le 27 avril, à la médiathèque de Melun où je vais lire notamment mon poème « Le silence » sélectionné dans l’anthologie de l’Émerveillement de Marguerite Chamon et Jean-Pierre Béchu aux éditions du net. Je veux que ma poésie voyage. Je veux qu’elle se nourrisse d’autres langues, d’autres visions du monde. Je veux que ma poésie soit la force de l’espoir, une force de vivre. Je veux qu’en lisant ma poésie, vous puissiez faire l’amour avec la vie.

En ce jour du 27 novembre 2023, où la planète vit une dramatique ébullition climatique, politique et sociale, je souhaite qu’à chacun de vos réveils, votre chemin choisi soit là, sans frontières et chanceux, mémoriel, empli de conversations au bord du réel, de possibilités et traversées poétiques, dépourvus de mort d’ennui et pleines d’effusions ; une vie cohérente sans sidération.

 

— Nathalie Buchot

Poète et géographe
Médiations philosophiques et géopoétiques

47. 27 Novembre 2023. Archipel arctique